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@ roxane,
Voici ce que ta réponse m'inspire :
La métaphore comme écran au raisonnement :
Ta réponse ne réfute pas les objections qui t’ont été faites ; elle les déplace systématiquement en s’appuyant presque exclusivement sur des analogies fallacieuses, qui finissent par tenir lieu d’argumentation.
D’abord, ces analogies ne servent pas à éclairer un raisonnement déjà établi, mais à le remplacer. À aucun moment tu ne réponds sur le plan conceptuel aux points soulevés (statut de la compréhension, nature de l’interprétation, conditions du discernement). Tu substitues des images répétitives — restaurant, menu, plat, assiette, pourboire — à une analyse. Or une analogie n’est jamais une preuve : elle ne peut illustrer qu’une idée déjà justifiée, pas en tenir lieu.
Ensuite, ces métaphores sont orientées. Elles imposent d’emblée une conclusion en mettant en scène une opposition caricaturale : manger équivaut à vivre réellement, lire la carte équivaut à analyser inutilement, parler équivaut à passer à côté. L’issue du débat est ainsi décidée à l’intérieur même de l’image. Celui qui réfléchit est toujours disqualifié comme absent à l’expérience, ce qui rend toute discussion asymétrique et stérile.
Cette stratégie repose sur une fausse équivalence. Le vécu n’est pas au repas ce que la compréhension est au menu. La compréhension n’est pas extérieure à l’expérience comme un objet concurrent : elle en est une dimension constitutive. En posant cette équivalence sans justification, tu transformes une relation interne (vivre/comprendre) en alternative exclusive, ce qui est une erreur logique.
Chaque fois qu’un point conceptuel est soulevé, tu opères un glissement du conceptuel vers le narratif. À une question sur la validité ou la cohérence d’une thèse, tu réponds par un récit personnel : « moi je mange », « je profite », « j’ai fini l’assiette ». Or l’auto-affirmation d’un vécu ne réfute aucun argument ; elle en évite l’examen.
Ces analogies fonctionnent alors comme une arme rhétorique. Elles ne cherchent pas à clarifier, mais à disqualifier l’interlocuteur, implicitement sommé de se taire, de cesser de penser, de « vivre ». Celui qui parle devient cérébral, coupé du réel, ridicule. Il ne s’agit plus de comprendre, mais de faire taire.
Il y a là un paradoxe central : tu dis te méfier de l’interprétation et de la conceptualisation, mais tu construis ton discours presque exclusivement à l’aide de métaphores élaborées. Or produire et faire fonctionner une analogie suppose abstraction, mise en relation et interprétation. Tu pratiques intensément ce que tu prétends marginal ou inutile.
Enfin, à travers ces images, le discours que tu tiens est érigé en norme implicite. Si quelqu’un ne tient pas le même discours, c’est qu’il « lit le menu ». L’analogie sert ainsi à universaliser ta posture sans jamais l’argumenter ni la rendre discutable.
En conclusion, le problème n’est pas l’usage d’analogies en soi, mais leur fonction ici : elles servent à éviter l’analyse tout en imposant une évidence déjà décidée. Elles ne démontrent rien, elles mettent en scène une conclusion. Tant que la discussion reste enfermée dans ces images fallacieuses, elle ne peut pas porter sur la question centrale : le rôle indispensable de la compréhension — assumée et réfléchie — dans ce que tu appelles le vécu direct.
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Par ailleurs, pour revenir à ce que je t'ai expliqué au début :
Ta réponse confirme précisément le problème pointé, malgré ton refus de le reconnaître.
1. Sur le point 1 :
le déplacement constant de la question :
Tu dis qu’il n’y a ni confusion ni déni, mais tu réponds par une métaphore normative : « ce n’est pas pour ça qu’on va au restaurant ».
Or le point n’était pas ce qui est autorisé ou non, ni la finalité subjective de l’expérience, mais le statut logique de ce que tu énonces. Dire que l’interprétation n’a pas de valeur, ou que la compréhension est secondaire, reste une thèse conceptuelle. Le fait de la relativiser ensuite par une préférence n’annule pas sa nature réflexive.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« je parle depuis mon vécu »
Tu dis implicitement :
« ce que je dis n’a pas besoin d’être interrogé puisque c’est du vécu »
Même si tu ne l’énonces jamais ainsi, le fait de présenter des thèses conceptuelles comme de simples constats vécus neutralise toute possibilité de les examiner. Le vécu devient alors un bouclier discursif plutôt qu’un point de départ.
2. Sur le point 2 :
la comparaison n’élimine pas le dogme :
Dire que la compréhension n’a pas de valeur « en comparaison du vécu » ne change rien au problème. Tu établis toujours une hiérarchie générale, même si tu la qualifies après coup de relative. Et surtout, tu continues à disqualifier toute tentative de compréhension comme étant « à côté », ce qui rend la discussion asymétrique : celui qui questionne est toujours celui qui “ne mange pas”.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« cette manière de vivre me convient »
Tu dis implicitement :
« chercher à comprendre est un stade dépassé »
Même si tu ajoutes que chacun fait comme il veut, la structure de ton discours installe une hiérarchie : ceux qui questionnent sont “encore dedans”, toi tu serais “déjà au-delà”. Cette asymétrie suffit à fermer la discussion.
3. Sur le point 3 :
confusion entre attention et intelligibilité :
Affirmer qu’on ne peut pas être concentré simultanément sur le vécu et sur son interprétation est vrai… mais hors sujet.
Personne ne soutient qu’il faille porter continuellement et exclusivement son attention sur l'analyse. La question porte sur la capacité de discernement, pas sur le multitâche attentionnel. Comprendre n’est pas nécessairement commenter pendant l’expérience ; c’est aussi ce qui permet, après coup ou en amont, de savoir ce qui relève du vécu ou de la projection. Citer une autorité n’y change rien.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« analyser pendant qu’on vit peut nuire à l’expérience »
Tu dis implicitement :
« comprendre et vivre sont incompatibles »
En élargissant une limite attentionnelle réelle à une incompatibilité de principe, tu fais passer une contrainte ponctuelle pour une vérité générale sur l’expérience humaine.
4. Sur le point 4 :
la préférence n’annule pas l’implicite :
Tu parles de préférence personnelle, mais tu continues à utiliser une analogie qui disqualifie implicitement l’autre position :
— toi : tu manges
— l’autre : il parle, il analyse, il passe à côté
Ce n’est pas une simple préférence, c’est une mise en scène évaluative qui attribue la vérité de l’expérience à un seul côté.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« je préfère manger plutôt que commenter »
Tu dis implicitement :
« commenter, comprendre, questionner, c’est ne pas manger »
L’analogie décide à l’avance qui vit vraiment et qui passe à côté. Celui qui parle est déjà disqualifié comme absent au réel, indépendamment de ce qu’il dit.
5. Sur le point 5 :
le faux dilemme vécu / analyse :
Personne ne soutient qu’il faille analyser ou se lancer dans de grandes réflexions en mangeant. Ce que tu fais, en revanche, c’est affirmer que ceux qui cherchent à comprendre passent nécessairement à côté du vécu. C’est une généralisation non démontrée, fondée uniquement sur ton ressenti personnel, voire une croyance, que tu présentes pourtant comme un constat. Dire ensuite « je n’impose rien » n’annule pas la portée normative de ce que tu affirmes.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« je ne réfléchis pas quand je mange »
Tu dis implicitement :
« ceux qui réfléchissent passent nécessairement à côté »
Tu transformes ton mode d’attention ponctuel en critère général d’accès au “meilleur” de l’expérience, sans jamais le justifier autrement que par ton ressenti, lequel est insuffisant pour établir ce que tu affirmes par ailleurs.
6. Sur le point 6 :
la métaphore du pourboire confirme le problème :
Dire que la compréhension vaut « un pourboire comparé au repas » est précisément une hiérarchisation. Tu continues à minimiser structurellement la compréhension tout en prétendant ne pas la nier. Tu ne la nies pas explicitement, mais tu la diminues structurellement, en la mesurant à partir de ton ressenti personnel, que tu présentes comme référence implicite de ce qui “vaut vraiment” ou non.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« pour moi, la compréhension compte peu par rapport au vécu »
Tu dis implicitement :
« la compréhension compte peu, point »
Même si tu ajoutes ensuite « je n’oblige personne », la métaphore fait déjà le travail : elle classe le vécu comme essentiel et la compréhension comme accessoire, secondaire, presque négligeable.
7. Sur le point 7 :
confusion entre fonction et réduction :
Dire que le vécu a une fonction n’est pas le réduire, mais le situer. Affirmer qu’une expérience oriente, informe, ajuste, ce n’est pas l’appauvrir, c’est reconnaître sa raison d’être dans la vie humaine. Refuser toute intelligibilité fonctionnelle du vécu revient à le détacher de ce qu’il permet concrètement, au profit d’une contemplation qui se donne comme suffisante.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« je ne parle pas du vécu en termes fonctionnels »
Tu dis implicitement :
« penser le vécu en termes de sens, de besoin ou d’orientation, c’est déjà être à côté »
Tu rejettes toute intelligibilité du vécu comme étrangère à ce que tu appelles “vivre”, ce qui revient à sanctuariser l’expérience en la coupant de ce qu’elle permet concrètement dans la vie.
8. Sur le point 8 :
l’injonction finale confirme la fermeture :
Ton injonction finale — « posez le menu, taisez-vous et mangez » — est révélatrice. Elle ne répond pas à l’argument, elle le court-circuite. Elle invalide la parole elle-même comme moyen légitime d’élucidation. C’est exactement ce qui caractérise une position fermée (dogmatique) : toute tentative de clarification devient la preuve qu’il faudrait se taire.
- Autrement dit, tu ne dis pas seulement :
« pour moi, ça se voit »
Tu dis implicitement :
« si tu ne vois pas, c’est que tu ne peux pas comprendre »
L’évidence vécue devient alors un critère d’exclusion : elle s’auto-valide et transforme toute contestation en preuve d’aveuglement, ce qui ferme définitivement l’examen critique.
Conclusion :
Tu dis ne pas imposer ton expérience, mais tu l’utilises constamment pour disqualifier toute autre démarche. Tu dis ne pas hiérarchiser, mais tu dévalorises systématiquement la compréhension. Tu dis ne pas être dogmatique, mais toute objection est renvoyée à une incapacité à « manger ».
Le désaccord ne porte donc pas sur le fait de vivre pleinement, mais sur ton refus de reconnaître que ce que tu valorises repose déjà sur une compréhension préalable que tu refuses d’assumer. C’est ce refus — et non l’expérience elle-même — qui bloque le dialogue.
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En reprenant ce qui précède :
Quand l’analogie remplace l’argument :
L’analogie cesse ici d’être un outil explicatif pour devenir un substitut à l’argumentation. Au lieu de répondre aux objections sur le plan conceptuel, elle installe une image qui contient déjà la conclusion. Le raisonnement n’est plus mené : il est court-circuité.
La métaphore comme écran au raisonnement :
Les métaphores répétées (menu, plat, assiette, pourboire) ne clarifient pas la question, elles la masquent. Elles déplacent l’attention du problème réel — le statut de la compréhension — vers une scène imagée qui rend inutile toute analyse explicite.
Vivre contre comprendre : une fausse alternative :
Opposer vivre et comprendre revient à poser une alternative artificielle. La compréhension minimale est déjà à l’œuvre dans toute expérience vécue identifiable. Ce qui est rejeté n’est pas la compréhension en tant que telle, mais une caricature de celle-ci.
Le dogme de l’immédiateté vécue :
L’immédiateté est présentée comme une évidence indiscutable, alors qu’elle est déjà le produit d’un tri, d’un apprentissage et d’un positionnement réflexif antérieur. Ce qui se dit “direct” est en réalité stabilisé et naturalisé.
Quand l’expérience se fait autorité :
Le vécu personnel n’est plus un point de départ, mais un critère de vérité. Ce qui est vécu devient ce qui vaut. Toute objection est alors disqualifiée non sur son contenu, mais sur la supposée incapacité de l’autre à “vivre”.
L’illusion du “vécu pur” :
Il n’existe pas de vécu humain dépourvu de toute intelligibilité. Parler de “vécu pur” revient à effacer les opérations silencieuses de reconnaissance, de distinction et d’orientation qui rendent l’expérience possible comme expérience.
Penser sans le reconnaître : la compréhension déniée :
La position défendue repose sur une compréhension réelle — souvent élaborée — mais refuse de s’assumer comme telle. La pensée est active, mais niée. Cette dénégation produit une illusion de transparence et d’évidence.
La rhétorique du menu : comment éviter la question :
L’image du menu sert à esquiver la question centrale : le rôle de la compréhension dans le vécu. Au lieu de répondre, on invite à “manger”, à “se taire”, à “profiter”. L’injonction remplace l’élucidation.
L’analogie comme stratégie de disqualification :
Celui qui parle, questionne ou conceptualise est implicitement présenté comme coupé du réel. L’analogie ne décrit plus une préférence, elle sert à disqualifier l’interlocuteur comme absent à l’expérience.
Du vécu sacralisé à la pensée interdite :
À force de sacraliser le vécu immédiat, toute mise en question devient suspecte. Penser, analyser, comprendre apparaissent comme des fautes contre la “vie”. On ne dépasse pas la pensée : on en interdit l’exercice.
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Voici la synthèse de tous les points critiques depuis le début concernant la posture de Roxane :
1.
Confusion des registres :
Roxane confond vécu, prise de conscience et discours, tout en formulant des thèses générales qu’elle présente comme de simples constats vécus, niant ainsi la réflexivité qu’elle exerce pourtant.
2.
Contradiction performative :
Elle affirme rejeter la compréhension tout en produisant un discours structuré sur la valeur de l’expérience, utilisant précisément les capacités qu’elle disqualifie.
3.
Posture d’achèvement implicite :
Elle parle depuis une posture de suffisance supposée, où comprendre serait dépassé, installant une asymétrie qui disqualifie d’avance ceux qui questionnent.
4.
Dogmatisme masqué :
Sa position se protège de toute critique en transformant le désaccord en preuve que l’autre n’a pas “vu”.
5.
Fausse opposition vécu / compréhension :
Elle oppose vivre et comprendre comme incompatibles, ignorant que toute expérience humaine identifiable suppose déjà une compréhension minimale.
6.
Caricature de la compréhension :
Elle réduit la compréhension à une analyse envahissante, rejetant indistinctement toute intelligibilité, y compris celle qui rend le vécu discernable.
7.
Illusion du vécu pur :
Elle postule un vécu immédiat dépourvu de compréhension, alors qu’un tel vécu n’existe pas.
8.
Analogie comme substitut d’argument :
Les métaphores qu'elle présente et sur lesquelles elle se base remplacent l’argumentation et contiennent déjà la conclusion, empêchant l’examen conceptuel réel.
9.
Analogie disqualifiante :
L’image du menu sert à présenter l’interlocuteur comme absent au réel, indépendamment de ce qu’il dit.
10.
Hiérarchisation déniée :
Elle minimise la compréhension tout en niant établir une hiérarchie, faisant de son discours un étalon implicite sur ce qui aurait une valeur ou non.
11.
Normativité implicite :
Bien qu’elle se dise non prescriptive, son discours classe ce qui “vaut vraiment” et ce qui serait secondaire.
12.
Autorité du vécu :
Son discours est présenté comme critère de légitimité, en posant qu'il se base sur son vécu : source d’autorité plutôt que point de départ.
13.
Clôture du dialogue :
En prétextant l’évidence vécue elle rend toute discussion impossible : il n’y a plus ni critères, ni gradation, ni possibilité de mise à l’épreuve.
14.
Compréhension déniée mais opérante :
Elle pense, analyse et interprète sans reconnaître ces opérations comme telles, produisant une illusion de transparence.
15.
Ignorance fonctionnelle :
En rejetant la compréhension, elle masque la fonction du vécu comme signal, orientation et réponse à des besoins réels.
16.
Refus de l’élucidation :
Les injonctions à “vivre” remplacent l’analyse, évitant la question plutôt que d’y répondre.
17.
Sacralisation de l’immédiateté :
L’immédiateté est élevée au rang d’absolu, rendant suspecte toute mise en question.
18.
Pensée interdite sous couvert de sagesse :
Ce qui se présente comme dépassement de la pensée est en réalité une interdiction implicite de la reconnaître et de l’exercer.
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- La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
- Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
Humilité !
- Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit son lot d'expériences vécues.
Sagesse !