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@ ronronladouceur,
Relativement à Voltaire, ton intervention est intéressante historiquement mais hors cible sur le fond. Oui, Voltaire emploie le terme « omniscience » en 1734 et adopte une posture pyrrhonienne de modestie intellectuelle face aux querelles théologiques. Mais cela ne dit strictement rien sur la théologie biblique elle-même, ni sur le sens du savoir divin dans les textes hébreux. Tu déplaces le débat : on passe du corpus biblique antique à une réflexion philosophique moderne. C’est une note culturelle pertinente, pas un argument exégétique, ni une réponse au problème conceptuel discuté ici.
Concernant l’analyse lexicale de אֵל דֵּעוֹת, elle est globalement correcte sur le plan linguistique : racine י־ד־ע bien identifiée, pluriel דֵּעוֹת correctement analysé, structure en smikhut reconnue. Sur la grammaire, rien à redire. Le problème commence lorsque tu franchis un seuil interprétatif non justifié. Dire que ce pluriel « suggère une connaissance non limitée » ou qu’il « englobe toutes les formes de savoir » n’est plus de la philologie, mais une extrapolation doctrinale. Le texte ne parle ni d’illimitation du savoir, ni d’une totalité du connaissable. Il n’énonce ni omniscience forte, ni thèse sur les limites ou l’absence de limites de la connaissance.
Le pluriel דֵּעוֹת indique une multiplicité, une richesse, une compétence étendue — pas une connaissance absolue de tout ce qui peut être su, ni même l’idée que tout soit connaissable. Tu passes implicitement de « pluralité » à « excellence », puis à « totalité », puis à « omniscience forte ». Cette chaîne est logiquement invalide. Dans la Bible hébraïque, beaucoup n’est pas tout, supérieur n’est pas absolu, et être apte à juger n’implique pas une exhaustivité métaphysique. Connaissance multiple ≠ connaissance illimitée.
Il faut aussi souligner un silence méthodologique problématique. Tu ne réponds pas au fait que, dans le même corpus biblique, Dieu apprend (Gn 22,12), cherche (Gn 18,21), change d’avis (Ex 32,14) et regrette (Gn 6,6). Une lecture rigoureuse devrait soit intégrer ces données, soit expliquer textuellement pourquoi elles seraient neutralisées. Les ignorer revient à sélectionner les passages compatibles avec une thèse élaborée après coup.
Quant à Héraclite, la citation que tu invoques n’est pas attestée. Aucun fragment conservé ne contient l’idée formulée ainsi. Il s’agit d’une paraphrase moderne, au mieux fidèle à l’esprit général, mais non à la lettre. Plus encore, même prise dans cet esprit, elle se retourne contre ton argument : si l’on ne doit pas conjecturer sur « les choses les plus grandes », alors il faut précisément s’abstenir de conjecturer une omniscience forte là où les textes ne tranchent pas.
Concernant Héraclite, la citation que tu invoques — « Ne conjecturons pas au sujet des choses les plus grandes » — n’est pas attestée. Aucun fragment conservé, ni chez Diels-Kranz ni dans les sources antiques (Platon, Aristote, Sextus Empiricus, Clément d’Alexandrie), ne contient une formule équivalente. Il s’agit d’une paraphrase ou d’une extrapolation moderne.
L’attribution pourrait paraître plausible parce qu’Héraclite critique effectivement la spéculation vaine et la polymathie sans intelligence, et insiste sur le logos commun contre les opinions privées. Des fragments authentiques vont dans ce sens : « Beaucoup de savoir n’enseigne pas l’intelligence » ou « Le logos est commun, mais la plupart vivent comme s’ils avaient une intelligence privée »*.
Mais précisément : chez Héraclite, il ne s’agit pas d’inviter à suspendre l’analyse rationnelle au profit du mystère. Il critique les nombreux qui parlent des réalités ultimes sans compréhension, hors du du logos, pas le fait d'examiner conceptuellement la cohérence de ce qu’ils disent.
Ton usage de cette pseudo-citation inverse donc son esprit : tu t’en sers pour disqualifier l’analyse conceptuelle, là où Héraclite l’exigerait. La référence est doublement problématique : philologiquement fausse et philosophiquement détournée.
*note : Ceci me rappelle quelque chose... Cela me rappelle ta "logique informelle" privée, que tu opposes à la logique formelle commune (universelle).
Sur le plan conceptuel, ta démarche opère un glissement du concept au mystère. En invoquant Voltaire, le pyrrhonisme ou l’ineffable, tu ne réponds pas à l’analyse de la cohérence logique de l’omniscience, tu fuis simplement l’examen. Ce n’est pas une solution, c’est un retrait. De même, l’analyse lexicale montre comment une tradition parle de la connaissance divine, pas que le concept d’omniscience soit logiquement consistant. Le pluriel d’intensité est rhétorique et théologique, il ne démontre en rien la possibilité d’une connaissance totale ou illimitée.
En résumé, ton intervention est érudite, documentée, linguistiquement correcte (merci l'IA), le problème c'est qu'elle est aussi théologiquement maximaliste, conceptuellement projective et méthodologiquement fragile. Elle ne réfute pas la thèse selon laquelle l’Ancien Testament ne présente pas un Dieu omniscient au sens fort, ni même une thèse sur la totalité du savoir possible. Elle montre plutôt comment cette idée est construite après coup, par glissements sémantiques successifs — exactement le type de spéculation que Voltaire, ironiquement, invitait à suspendre.
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Ajouté 16 minutes 27 secondes après :
pauline.px a écrit :Supposer qu'elle est impossible me paraît assez peu pertinent, dès lors, comme pour démontrer le postulat d'Euclide par l'absurde, je cherche quelle pourrait être une omniscience ne reposant pas trop sur analogies humaines et des présupposés hasardeux.
Ce qui est hasardeux, c'est de supposer des choses sans raison.
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- La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
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